CHALEURS FUNESTES - 27/28

Publié le par catherine GENIN-PIETRI

 

Que d’altercations, de rixes, de bagarres sont nées des festins, des banquets, des souvenirs où s’échauffe l’esprit des gens qui ont trop mangé et trop bu !

 

Aidée par les adolescentes en mal d’activités, Inès étendait des draps de bain pour les faire sécher, débarrassait les abords de la piscine des jouets encombrants des petits enfants, tandis que la majorité des adultes était assoupie, anéantie par une chaleur devenue torpeur au fil des heures.

 

Pour la première fois depuis son arrivée à la Grangerie, Inès remarqua que les abeilles avaient perdu de leur vivacité depuis le milieu de l’après-midi. Les abords de la terrasse périgourdine étaient devenus silencieux, comme si les insectes aussi pouvaient être abattus, chagrinés, muets par trop de révélations en si peu de temps. Engourdie et féline, la Rouquine vint se frotter contre les chevilles d’Inès. Elle dégageait une délicieuse odeur de romarin mêlée à celle de la menthe, preuve d’une station prolongée dans la plate-bande d’herbes  aromatiques !

 

Les graines de la vigne vierge tombaient sur les marches. Le bruit de leur chute imitait celui de la pluie lorsqu’elles venaient s’écraser sur la pierre. Certaines rebondissaient avant de rouler un peu plus loin et de former un épais tapis vert.

 

Assise dans l’encadrement de la porte de la cuisine, Inès passa la main dans les graines qui s’échappaient comme du sable entre ses doigts. Elle revivait des sensations enfantines, du temps où ses parents possédaient une maison de campagne ; elle tendit la main vers un géranium rouge vermillon,  en arracha les pétales et les colla sur ses ongles, comme elle avait coutume de le faire 30 ans plus tôt. Un moineau audacieux s’aventura dans la cuisine et Inès se revit déverser une boîte de sel dont l’image publicitaire était celle d’une fillette vidant une salière sur la queue d’un malheureux  oiseau pour le capturer. Elle caressait la Rouquine et se souvenait de son frère qui lançait le plus haut possible une pauvre chatte de gouttière répondant au nom saugrenu de Moussette pour voir si elle retombait toujours sur ses pattes comme l’affirmait la légende.

 

Cette même naïveté lui collait toujours à la peau !

 

Elle repensait aux gamins qui lui proposaient des chasses au Dahu ! La petite communauté villageoise et ses meneurs les plus espiègles n’avaient pas toujours l’occasion de renouveler  ce type de farce régulièrement. Il fallait que le hasard soit favorable en ramenant dans leurs filets un « étranger », un visiteur de la ville et Inès en avait fait les frais. Elle s’était sentie stupide, ridiculisée et n’osait plus croiser le chemin de ceux qui avait profité de sa crédulité. En parlant de « nigauderie », son père avait porté le coup fatal et Inès s’était jurée de ne plus jamais faire partie du monde des victimes.

 

On peut imaginer que la morale que tire inévitablement toute victime d’une chasse au dahu soit assez proche de la formule de Petit Gibus dans la Guerre des Boutons : « Si j’avais su, j’aurais pas venu » ou si l’on préfère celle du Corbeau de la Fontaine qui, « honteux et confus, jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus ».

 

La version moderne, théâtrale et cinématographique de ce comportement d’un groupe vis-à-vis d’un individu désigné comme vilain petit canard est sans doute Le Dîner de Cons !

 

Antoine avait-il ri à ses dépends en collectionnant les aventures ? Ses amis en avaient-ils fait autant ? Inès ne l’imaginait pas, mais peut-être était-ce une fois encore le résultat de sa candeur !

 

Ce qualificatif de « naïve » lui avait été attribué par certains membres de son entourage. Elle ne voulait que mettre de la couleur dans son existence, du rose comme beaucoup de petites filles, puis toute une palette qui lui permettait d’affirmer que la vie est belle.

Elle l’avait été, bien que le gris et le noir s’en fussent  mêlés et elle tenait à ce qu’elle le fut encore.

 

 

Fallait-il y voir une relation avec son métier de journaliste spécialisée dans la Presse-People ? Inès parlait de hasard, de rencontres qui l’avaient amenée à un poste convoité par beaucoup de ses collaborateurs, mais force était de constater qu’elle s’évertuait à faire rêver dans les chaumières en idéalisant des êtres parfois d’une grande banalité. Elle regrettait ses débuts où le talent, les compétences étaient méritoires. Cela donnait une image digne et louable des célébrités dont elle relatait la vie. De plus en plus, elle exposait les frasques de ces mêmes célébrités appelées stars à la première occasion, colportait des ragots, divulguait des insanités, ébruitait des rumeurs dégotées dans des fonds de poubelles, répandait des traînées de souffre qui valurent quelques procès à sa rédaction.

 

 

La frontière est parfois bien ténue entre un certain rêve dévoilé et la vulgarité et rien ne gênait tant Inès que la vulgarité. C’est comme du vomi qu’on jette à la figure sans que l’on puisse l’éviter. Elle n’avait non plus aucun problème avec la nudité, mais pouvait se sentir mise à nue par un mot, un geste, un regard.

 

Aussi préférait-elle être labélisée candide plutôt que démoniaque ou machiavélique ! Elle ne calculait pas, n’inventoriait rien qui puisse mettre autrui en difficulté, ne se mesurait pas à ce que le bon sens ne l’autorisait pas à atteindre, mais à quarante ans, elle avait encore à apprendre la méfiance !

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