64, AVENUE - 12/23

Publié le par catherine GENIN-PIETRI

La porte s’ouvrit et laissa apparaître une femme de l’âge de Sophie, ou à peu près.

 

Très accueillante, elle fit entrer ses trois visiteuses dans une vaste entrée au parquet Versailles et aux murs vert d’eau et blancs. Un imposant canapé violet faisait face à une console moderne sur laquelle étaient exposées des créations de l’artiste.

 

L’ensemble était harmonieux et chaleureux. Une énorme suspension diffusait une lumière douce qui mettait en valeur le subtil mélange de couleurs.

 

Sophie restait plantée, hébétée. Elle n’arrivait pas à produire le moindre son et répondait à peine aux mots de bienvenue de Nicole.

Les deux femmes avaient correspondu plusieurs fois par téléphone et par mails et avaient décidé de s’appeler par leurs prénoms, ce qui Ô comble de l’extraordinaire semblait  choquer Pascaline et Annabelle : « Trop genre… Grave… LOL ! »

Un grand coup de coude réprobateur donné par Annabelle fit sortir Sophie de sa torpeur.

Immédiatement, elle retrouvait cette aisance qui lui était si naturelle et suivait la maîtresse de maison qui l’emmenait de pièce en pièce.

 

So chic, so choc…Le choc était énorme, plus encore que Sophie l’avait imaginé, mais pas pour les raisons qu’elle s’était mises en tête. C’était très curieux, elle se sentait dédoublée, partagée entre le 64 d’avant et l’actuel.

Il n’y avait pas de nostalgie, juste le bonheur intense de partager les lieux à nouveau. Elle était chez elle, l’appartement s’imposait à elle, il la réclamait, il l’attirait dans ses moindres recoins. Pas d’effet boomerang, pas de petite madeleine non plus.

 

La peinture gris perle de son enfance avait fait place à des associations de couleurs audacieuses pour un « so chic » totalement dépoussiéré.

 

A chaque extrémité du hall d’entrée, deux portes délimitaient les appartements privés : d’un côté ceux qui étaient les pièces réservées à ses parents et de l’autre les chambres des enfants. Nicole ne les faisaient pas visiter, Sophie le comprenait aisément mais regrettait un peu de ne pas avoir accès à sa chambre à la porte capitonnée et à la cheminée en marbre.

 

Le bureau de son père accueillait des meubles en chêne massif qui s’accordaient parfaitement au ton whisky tourbé des coussins.

La cuisine, vert absinthe ponctuée de touches de parme faisait aussi office de salle-à-manger.

 

Nicole vivait au milieu de son show-room où tout était à vendre. Sophie trouvait le concept amusant et pensait qu’il devait falloir une certaine dose de détachement pour appliquer ce principe.

 

Canapés, fauteuils, banquettes et tables recevaient des matières nobles telles que les tweeds, les lins, déclinées dans une palette de couleurs intenses, créant des contrastes forts, inattendus mais rassurants.

 

Malgré tous ces changements, il se dégageait du nouveau 64 un fort sentiment d’équilibre et d’harmonie, un chic intemporel.

 

Sophie se sentait détendue, légère, aérienne. Le poids du passé ne s’était pas fait sentir, l’ambiance électrique des années 80 avait disparu, seule une latte enfoncée du parquet de l’entrée la ramenait 25 ans plus tôt.

 

Il était tout de même troublant pour Sophie de voir évoluer une inconnue dans son 64.

Elle ouvrait les portes, les refermait, allumait, éteignait les interrupteurs, arrangeait le pan d’un rideau.

Sophie avait presque oublié que cette femme était chez elle et que l’étrangère, c’était elle.

 

Nicole était sympathique et le courant passa instantanément entre les deux femmes. Une fois la visite terminée, elles allèrent à la recherche des tissus qui allaient recouvrir les fauteuils de Sophie et s’accrocher aux fenêtres de l’appartement d’Auteuil.

 

Les adolescentes avaient profité de ce moment pour prendre congé et partir en direction de la rue du Commerce.

Sophie écoutait les conseils de Nicole, choisissait, changeait d’avis, revenait à ses idées premières, faisait couper les tissus, s’amusait et se  retrouvait rapidement une tasse de thé à la main.

Alors, les deux femmes imaginaient d’autres décors, d’autres ambiances et deux heures plus tard, les verres de whisky avaient remplacé les tasses de thé.

 

Il faisait nuit noire lorsqu’elles se séparèrent et prirent rendez-vous pour la semaine suivante, date d’arrivage de plaids brodés que Sophie voulait absolument voir.

 

 

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Publié dans ROMAN : 64 - AVENUE

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