64, AVENUE - 21/23

Publié le par catherine GENIN-PIETRI

Pour la dernière fois avant leur aménagement, Sophie et sa famille allaient se rendre au 64 pour la réception organisée par Nicole.

 

Les adolescentes tardaient à se préparer malgré les appels répétés de leur père. Elles étaient à l’âge des balbutiements du maquillage et, la plupart du temps, le résultat n’était pas merveilleux. Elles ne savaient pas encore que leur fraîcheur était leur plus bel atout, qu’elles étaient resplendissantes et qu’aucun fard ne leur donnerait plus d’éclat.

 

Sophie attendait le bon vouloir de ses filles et feuilletait un magazine sensé donner toutes les astuces pour déménager en toute tranquillité. Elle n’aimait pas le ton faussement « bonnes copines » qu’utilisent ces manuels pratiques pour mieux s’organiser au travail, être une bonne mère, une femme épanouie… Non seulement on y cultive des idées reçues et les recettes sont des plus éculées, du genre « c’est mieux de faire une liste avant d’aller faire les courses ».

 

Elle était détendue et ravissante dans sa petite robe noire. Celle des années 60, celle que portaient Annouk Aimée ou Jeanne Moreau, celle qui exacerbait la sensualité.

 

La soirée de juin était douce, l’air était tiède, les terrasses parisiennes refusaient du monde, les pelouses du Champs de Mars étaient envahies par les touristes.

Seule, « sa banlieue » continuait à s’éteindre dans l’indifférence totale.

 

L’entrée de l’appartement du 64 était noire de monde et Sophie ne connaissait personne.

Radieuse entre ces murs qui la réclamaient,  elle évoluait de pièces en pièces, saluait des visages aimables, serrait des mains inconnues, se plaisait à penser que d’ici à quelques jours, elle enfilerait cette même petite robe noire et convierait ses amis à découvrir son nouveau domicile, sa demeure, son logis, son foyer … son 64.

 

Les flûtes de champagne tintaient les unes contre les autres, on se félicitait, on se souhaitait d’être heureux ailleurs, on promettait de se revoir, on s’échangeait des cartes. C’était parisien, léger, futile.

 

Nicole tenait son rôle d’hôtesse à la perfection. A son savoir-vivre s’ajoutaient une délicatesse et un raffinement auxquels Sophie avait été sensible dès leur première rencontre. Mais ce soir là, l’artiste était lasse, préoccupée. Elle venait de vivre des journées harassantes auprès d’une mère caractérielle et destructrice. Elle confiait à Sophie que la maladie mettait en avant des traits de caractère odieux et un tempérament impitoyable qui avaient gâché son enfance et usé son pauvre père.

 

Fort heureusement, tout était prêt pour leur arrivée prochaine dans le Sud-Ouest. Les appartements des uns et des autres étaient bien définis, le nouveau show-room presque installé et un personnel qualifié avait été recruté pour accueillir la vieille dame et soulager Nicole.

 

C’était au milieu de ces confidences que Pascaline plus féminine et rayonnante que jamais, fit irruption et lança à sa mère un surréaliste « C’est toi la salope ? ».

L’effet fut saisissant et laissa Sophie sans réaction jusqu’à ce que l’adolescente continue de plus belle « Ben oui, c’est la vieille cabossée là-bas qui m’a demandé si j’étais la fille de la salope ».

 

Au grand étonnement de son amie, Nicole éclata de rire et laissait ainsi échapper toutes les tensions des jours derniers.

 

Les regards des trois femmes se tournèrent en direction de « la vieille cabossée ». Elle se tenait dans l’embrasure d’une porte, debout, droite comme in I et affichait un air victorieux. Nicole s’approcha d’elle, la conduisit dans sa chambre et vint rejoindre ses invités.

 

Plus tard, Sophie apprit que la vieille dame dans ses délires de plus en plus fréquents utilisait un langage grossier, obscène. En revanche, Nicole ne comprenait pas pourquoi elle s’en prenait toujours à son amie qu’elle n’avait vue que deux fois et qu’elle continuait à accuser de vol.

 

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Publié dans ROMAN : 64 - AVENUE

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