CHALEURS FUNESTES - 4/28

Publié le par catherine GENIN-PIETRI

-      Comment se porte la « presse-people » ? demanda Pierrette en essuyant les gouttes de sueur qui perlaient sur son front.

-      Pas mal, pas mal, répondit Inès avec un clin d’œil complice. Merci d’avoir préparé la maison, surtout avec cette chaleur …

 

La jeune femme sortit de sa voiture et alla embrasser sa voisine qui n’en finissait plus de s’excuser de transpirer.

 

-      On n’a pas terminé les foins … Ce soleil, c’est du feu ! Faudrait pas que ça se passe comme en 2003… Je crains pour les vieux de la commune. Et alors ? Quoi de neuf à Paris ?

-      Rien de plus que tu ne saches déjà, si tu as bien lu mes derniers articles répliqua Inès en s’éventant avec une carte routière.

-      Même pas un potin de derrière les fagots que tu réserverais à ta voisine préférée ?

-      Même pas, mais attends un peu, ils sont tous sur les plages… il va se passer des trucs dit Inès en riant.

-      Oui, mais j’aime bien quand c’est toi qui nous révèle les scoops !

-      Je ne peux pas être partout ! J’ai besoin de vacances moi aussi !

-      Ce n’est pas à la Grangerie qu’il se passerait quelque chose soupira Pierrette en tortillant son tablier entre ses mains.

-      Va savoir, plaisanta Inès

-      Tu sais quoi ? dit Pierrette en entrant dans le jeu de sa voisine. La vache du père Vaujoux a mis bas la semaine dernière et la Marcelle Pont est tombée dans sa cour !

-      Ca, c’est du lourd … laisse moi prévenir le journal !

-      Dis-moi Inès, tu entres prendre un café ?

-      Non merci, je vais à Brive, une partie de mes invités sera là ce soir et le frigo est vide. Mon amie handicapée arrive demain, crois-tu que ton mari aurait le temps de découper des planches que j’installerai pour qu’elle accède facilement à la maison ?

-      Manquerait plus que ça qu’il n’ait pas le temps ! Je l’envoie chez toi, il prendra les mesures, pas besoin que tu sois là, file faire tes courses.

 

Le mari de Pierrette était menuisier et avait effectué de belles réalisations à la Grangerie, notamment dans le pool-house qu’il avait en partie équipé. Les lourdes planches de châtaigniers ou de mélèzes  n’avaient rien à envier aux banales étagères des magasins de grande distribution ! L’homme avait perdu quelques doigts dans ses machines à débiter le bois, mais son adresse, elle, était restée intacte.

 

Le couple avait tout d’abord accueilli  Inès avec un peu de suspicion liée à son métier et à sa situation familiale. Dans un premier temps, ils avaient imaginé, à tort, voir la Grangerie envahie par une horde de journalistes parisiens imbuvables, de « vedettes » déprimées qui seraient venues se mettre au vert, d’écolos mondains ou de fêtards noctambules.

 

Peu à peu, Inès avait gagné leur confiance et le trio s’appréciait. Les corréziens aimaient l’air que la journaliste insufflait de la Capitale et la parisienne s’évadait dès qu’elle le pouvait pour retrouver le calme et la douceur de la Grangerie.

 

La voiture d’Inès roulait en direction de Brive, traversa la plaine de Malemort , et gagna le centre ville de la sous-préfecture de la Corrèze sous un soleil de plomb. C’était jour de marché connu de la France entière grâce à Georges Brassens et à sa chanson « Hécatombe »

 

Au marché de Briv’-la-gaillarde

A propos de bottes d’oignons

Quelques dizaines de gaillardes

Se crêpaient un jour le chignon …

 

Plus que jamais, il fallait bien parler d’Hécatombe. Aucun chant d’oiseaux, ils semblaient avoir été anéantis par la température, des mouches épuisées tentaient de voltiger mollement  autour des étals des bouchers, quant aux maraîchers, bienheureux, ceux qui avaient pu trouver une place à l’ombre !

 

-      Elle est belle ma laitue ! lança l’un d’eux, peu convaincu de la fraîcheur de sa salade.

-      Allez, allez, on la goûte la Mara des Bois, allez ma p’tite dame, combien de barquettes ?

 

Inès raffolait de cette fraise au goût de bonbon et prit le risque de faire supporter au fruit exquis une température peu recommandée à sa dégustation. Elle songeait à la fraîcheur de sa cave voutée qui accueillerait ses achats quand son portable sonna :

 

-      C’est moi, mon chou, où es-tu ?

-      Au marché, justement …

-      Pourquoi, justement ?

-      Le « chou », le marché … tu comprends ? Questionna Inès en croquant dans une fraise.

-      Mouais …

-      Je sais, pas terrible … désolée … la chaleur peut-être.

-      Comment te sens-tu ?

-      Exténuée … un vrai légume !!

-      Inès, voyons …

 

Le ton de son amant était celui du reproche et Inès avait bien conscience que son humour était plus que douteux. Mais y avait-il un moment où cet homme riait pour rien, parlait pour ne rien dire, agissait pour le plaisir, et pour le plaisir uniquement ?

Alors, elle se régalait à le provoquer, à le narguer, à affronter sa rigueur qu’elle trouvait ridicule et consternante.

C’était bien la preuve qu’elle ne l’aimait pas … et qu’il ne passerait certainement pas l’hiver !

 

-      Et toi, comment vas-tu ? demanda la jeune femme

-      Tu me manques, mais je ne pense pas pouvoir me libérer…

-      Laisse tomber, je m’en doutais.

-      Tu sais, j’ai vraiment essayé, mais un week-end du 14 juillet …

-      Excuse- moi d’être née le 12 !

-      Je penserai très fort à toi.

-      Je n’en doute pas répondit Inès, moqueuse.

-      Si tu me voyais, j’ai également besoin de repos, j’ai une mine de papier mâché !

-      De navet ?

-      Inès !

-      Excuse- moi, je continue … j’ai les pieds en … compote !

 

En raccrochant, elle s’entendit dire : « Pauvre pomme » !

Des centaines de petits producteurs à l’accent du terroir étalaient leurs produits savoureux.

Oies, canards, foies gras, cous farcis et abats font partie de ce patrimoine culinaire de Brive-la-Gaillarde aux côtés du veau de lait élevé sous la mère, des bovins labélisés « bœuf du limousin » et autres ovins de qualité.

S’ajoutent le porc « cul noir » au lard épais de quatre doigts et le petit salé inséparable de la mique.

 

Bien décidée à régaler ses amis, Inès remplit ses paniers des spécialités locales, sans oublier la moutarde violette à base de moût de raisin et indispensable agrément du magret de canard, mais aussi de liqueur de noix, de galette corrézienne, de clafoutis, de farcis durs de pommes de terre …

 

-      Bonjour Madame Inès, vous êtes bien chargée aujourd’hui ! constata le fromager préféré de la jeune femme.

-      Oui, j’attends du monde, alors donnez moi un plateau de petits Rocamadour s’il vous plaît.

-      A conserver à la cave, Madame Inès, surtout pas dans le frigo !

-      Je sais, je sais répondit-elle, inquiète tout à coup pour son chargement ; s’y mêlaient melons et fraises, fromages, charcuterie et viande qu’il fallait mettre au frais rapidement.

 

 

Un des passe-temps favoris d’Inès était la cueillette des champignons, aussi passa- t- elle  devant les étals sans s’arrêter. Elle comptait faire partager sa passion à ses amis et leur faire découvrir le goût incomparable du cèpe, la finesse de la girolle à condition toutefois qu’ils sortent de terre tant l’eau se faisait rare depuis plusieurs jours.

 

Elle regagna sa voiture, y casa son marché et se dirigea vers une des grandes surfaces qui bordait la plaine de Malemort.

 

« J’aurais dû commencer par ça » se dit-elle en passant devant les linéaires de yaourts et autres crèmes.

 

-      C’est le meilleur endroit qui soit lui dit une cliente qui semblait vouloir engager la conversation. Ici et aux surgelés.

-      Oui, oui, c’est vrai … savez-vous où se trouve l’électroménager, je voudrais acheter des ventilateurs ?

-      Rupture de stock, j’étais venue pour ça aussi.

 

Décidemment, force était de constater que son amant n’avait pas tort. Elle manquait d’organisation, n’allait pas à l’essentiel, mais était-ce si important ?

 

Elle n’avait jamais prétendu être une maîtresse de maison hors pair, ni même une cuisinière émérite. Pour qui, pour quoi dépenser autant d’énergie ? Elle voulait juste « faire plaisir » et peu importaient les moyens mis en œuvre, l’essentiel était que ses amis aient tous répondu présents à son invitation. Pas un d’entre eux n’avait hésité, certains avaient même changé l’organisation de leurs vacances pour l’entourer le jour de son anniversaire.

 

Ce n’était pas totalement anodin. Inès savait qu’ils mettaient  un point d’honneur à l’accompagner  tout particulièrement ce jour-là, dix ans après la mort d’Antoine. Elle leur en était reconnaissante et l’absence de son amant ne la chagrinait pas. Elle pensait que sa place n’était pas à la Grangerie ; il ne connaissait pas le petit groupe, ne pouvait pas partager les sentiments, les émotions, les sensations exprimés par chacun depuis le, les drames.

 

Et pour cela, même si c’était injuste, Inès lui en voulait.

 

 

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