CHALEURS FUNESTES - 6/28

Publié le par catherine GENIN-PIETRI

-      Allô, Inès ? Le GPS n’indique pas la Grangerie  … on est à Brive … on y est presque, non ? demanda Sophie.

-      C’était bien la peine que je vous envoie un plan répondit Inès. Bon, je te guide et si tu suis bien mon itinéraire, vous êtes là dans 10 minutes.

-      Tant mieux, la clim est en panne et les jumeaux sont infernaux !

 

Il était près de 19 heures et il commençait seulement à faire meilleur malgré le manque d’air. Inès avait enfilé un short et une chemise large sur son maillot Jeff de Bruges. Le thermomètre à tête de dauphin indiquait 28 degrés et la baignade serait la bienvenue pour les voyageurs.

 

La maîtresse de maison descendit les marches du perron et ouvrit la grille juste au moment où arrivaient Patrick, Virginie et leurs trois filles.

Inès aimait le crissement  des pneus sur le gravier blond ; il était synonyme de vacances, d’arrivées à la Grangerie, d’embrassades, d’effusions, de mots de bienvenue, d’amitié.

 

-      Les voilà ! lança Inès tandis que ses amis sortaient de voiture.

-      Salut ma poule dit Virginie en étreignant Inès. Pour une fois, on ne s’est pas trompés en arrivant.

-      Ce n’est tout de même pas compliqué depuis le temps que vous venez !

 

Les Versaillais étaient les seuls du groupe à avoir déjà séjourné à la Grangerie. Paul et Sophie partaient tous les ans en Espagne et filaient par l’autoroute sans jamais prendre le temps de passer par la Corrèze, Michel et Jeanne évitaient  les étapes chez les amis et les vacances des calédoniens se déroulaient bien souvent à Paris où Marc avait un pied à terre.

-      Oh ma Lulu, comme tu as grandi s’exclama Inès.

-      Bonjour Marraine, répondit la petite fille, tu n’es pas venue avec ton amoureux ?  Maman croyait que …

-      Ludivine ! Coupa son père, tais-toi …

-      Ce n’est rien Patrick, répliqua Inès et non ma Lulu, cette année encore tu me verras sans fiancé !

-      Tu es pourtant canon, plaisanta Virginie en toisant son amie de la tête aux pieds et moi comment me trouves-tu ?

-      Etonnante … tu as fait des extensions ou quoi ?

-      Oui, je te raconterai. Caro, Marie, venez dire bonjour à Inès.

 

Les deux adolescentes s’extirpaient de la voiture, coincées entre des sacs de chaussures et des jouets qui devaient appartenir à Lulu.

A quinze et seize ans, elles étaient ravissantes, malgré trop de maquillage et des mines renfrognées  derrière un sourire de bienséance.

Inès se souvenait d’elle au même âge et imaginait  que la perspective de passer quelques jours chez la meilleure amie de leur mère ne devait pas les enchanter. Elle fit alors diversion et déclara :

 

-      Deux jeunes filles de vos âges, ou à peu près, vont arriver entre ce soir et demain, sympa, non ?

-      Super, sembla se réjouir Caro un œil rivé sur son portable.

-      Vivement qu’elles soient là ! renchérit Marie.

 

Inès ne releva pas cette dernière réplique qui valut à l’adolescence les « gros yeux » de son père.

 

Le petit groupe se retourna pour assister à l’arrivée épique de Paul et de Sophie :

 

-      Les tribulations de la famille Fenouillard remarqua Patrick dans un éclat de rire. Alors vieux, il ne te manque plus que le Marcel dit-il en s’approchant de Paul qui descendait de voiture.

-      Il a fallu que la clim tombe en panne aujourd’hui !

-      De la folie, tout simplement de la folie … ajouta Sophie dont la chaleur n’avait en rien altéré la bonne éducation. Quel bonheur de vous voir !

-      Regarde, murmura Virginie à Inès, elle n’est même pas en sueur !

-      Chez ses gens-là, Madame, on ne transpire pas.

 

Il y avait un parfait décalage entre l’image que renvoyait le couple et leur arrivée mirobolante.  Sophie évoluait gracieusement devant l’Espace aux vitres entrouvertes qui retenaient des serviettes de toilette humidifiées.

 

-      A la guerre comme à la guerre n’est-ce pas dit-elle comme si elle voulait se dédouaner de cette situation grotesque.

 

Plus splendide que jamais, Paul aidait les jumeaux à sortir de la voiture :

 

-      Ils se sont endormis en arrivant à Brive, après nous avoir fait passer un voyage pénible, malgré l’aide d’Ilona, notre jeune fille au pair.

-      Au père ? pouffa Virginie en donnant un grand coup de coude à Inès.

-      Imbécile, répliqua son amie qui se délectait de cet humour stupide.

 

Comme à l’accoutumée, Sophie était impeccable : manucurée, coiffée, elle portait en bandoulière un gros sac en toile et cuir dont elle représentait la marque. Les bouteilles d’eau vides et les paquets de gâteaux éventrés qui en dépassaient ne desservaient pas  l’élégance innée de la jeune femme.

 

-      Bonjour les garçons. Toi, tu es Tom n’est-ce pas ? s’amusa à demander Inès sachant qu’elle s’adressait à Léo.

-      Non, t’as perdu répondit le petit garçon. On peut se baigner ?

-      Plus tard intervint Paul. Viens Ilona, je te présente Inès, la maîtresse de ce lieu enchanteur. Inès, Ilona est la fille de nos amis du midi, tu les as certainement rencontrés à la maison.

-      Sûrement … Bienvenue Ilona.

 

La baby-sitter ne devait pas avoir plus de vingt-ans et Inès la présenta aussitôt à Caro et Marie qui firent mine d’avoir été trompées sur la marchandise.

 

Ilona était certes plus âgée que les adolescentes, mais Inès espérait que les jeunes filles verraient en elle une des leurs et pas seulement une adulte en charge d’enfants.

 

-      Entrez, entrez, décréta Inès. Vous viderez vos voitures plus tard. Prenez vos maillots de bain si vous les avez sous la main ;

-      On les a sur nous lancèrent en chœur les jumeaux.

-      Moi aussi, marraine dit l’adorable Lulu.

 

Patrick et Paul sortirent le strict nécessaire pour s’adonner aux joies de la baignade et le petit groupe se rejoignit devant les marches du perron.

-      Maman, j’ai peur des guêpes hurla Léo qui se réfugia entre les jambes de sa mère.

-      Ce ne sont pas des guêpes dit Inès tout doucement. Ce sont des abeilles.

-      C’est pareil, ça pique … maman, j’ai peur !

-      Si tu ne t’agites pas, elles ne te piqueront pas ; elles sont bien trop occupées à travailler dans la vigne-vierge. Viens, donne -moi la main.

 

Le jeune enfant grimpa les marches deux par deux suivi de son frère et de Lulu qui déclamait des « même pas peur » !

 

-      C’est impressionnant dit Ilona, il y en a partout !

 

Caro et Marie haussèrent les épaules et rejoignirent les petits dans l’entrée.

 

-      Où sont nos maillots demandèrent-elles à leur mère ?

-      Où vous les avez rangés répondit Virginie agacée.

-      Et bien, ma grande, détends-toi dit Inès en lui passant la main dans le dos.

-      Facile à dire …

-      Des choses que je ne saurais pas … ?

 

Inès regarda son amie et la trouva différente des jours précédents. Les deux femmes se voyaient régulièrement, se téléphonaient pour un oui ou pour un non, échangeaient des mails sans raison particulière, ne se cachaient rien, mais à cet instant Inès perçut un changement notoire chez Virginie, et cela n’avait rien à voir avec ses extensions qui lui donnaient un air de poupée Barbie.

Inès sortit son paquet de Marlboro de la poche de son short et alluma une cigarette sous le regard désapprobateur de Lulu. Dans l’autre poche, son portable se mit à sonner et elle décida d’attendre le message lorsqu’elle vit le nom de son amant s’afficher.

 

Elle entraîna ses hôtes vers la piscine, traversa la terrasse périgourdine au grand désespoir des jumeaux, qui, une fois encore, devaient se frayer un passage entre les abeilles.

 

-      Elles ne dorment jamais ? demanda Léo.

-      Si, dès que la nuit va tomber on ne les entendra plus et elles recommenceront de plus belle demain matin répondit Inès.

 

Sophie et Virginie trouvèrent l’idée d’avoir installé des pans inclinés pour Jeanne « intéressante » et partirent en direction du bassin en parlant à voix basse de leur amie handicapée.

 

-      Elle aurait pu faire l’effort de venir à la Grangerie sans prendre une chambre d’hôtel, dit la première.

-       Tu la connais, répliqua la seconde, c’est la petite princesse … Je plains beaucoup Michel !

-      Oui, enfin, c’est tout de même elle qui est en fauteuil, mais je pense que Michel aurait été heureux d’être ici sans avoir à faire tous ces allers-venues.

-      Je crois aussi qu’elle ne tient pas à côtoyer Marc du matin au soir et du soir au matin déclara Virginie. On sait pourquoi au juste ?

-      Non, elle est très discrète à ce sujet répondit Sophie en arrangeant une mèche de cheveux d’un geste nonchalant.

Sophie était une de ces femmes dont la grâce est une évidence et à qui rien ne savait être refusé. Grande, mince, blonde, rayonnante, elle avait les traits un peu creusés et quelques rides.

 

« La beauté se fanerait-elle ?», songea  Virginie, un peu pour se consoler de ne pas avoir été aussi gâtée par les dieux.

 

Inès avait rejoint Virginie après avoir consulté son message téléphonique. Monsieur-son-amant disait seulement qu’il rappellerait plus tard.

 

« Normal, pensa Inès en soupirant … C’est l’heure du dîner familial »

 

-      Songeuse, ma poule ? demanda Virginie

-      Non, non … Viens te baigner, mais dis-moi, tu portes des lentilles de couleur, non ? Et tes ongles … Ils n’ont jamais été aussi longs … des faux ?

-      Pas mal, hein ?

-      Etonnant surtout, que t’arrive-t-il … tu as un mec ?

 

L’arrivée de la gracieuse Sophie mit fin à la discussion entre les deux femmes et Inès s’en voulut, l’espace d’un instant d’avoir posé une question aussi inopinée à sa meilleure amie. Après tout, cela ne la regardait pas, mais voir Virginie se transformer en poupée Barbie à plus de 40 ans ne l’enchantait pas !

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