CHALEURS FUNESTES - 9/28

Publié le par catherine GENIN-PIETRI

C’était le plein été. Le ciel était constellé d’étoiles et les bougies des photophores s’éteignaient les unes après les autres. Les paires d’yeux des chats qui contemplaient Inès et ses amis étaient autant de petites lumières qui éclairaient la nuit.

 

Les enfants et la baby-sitter étaient partis se coucher, les adultes prirent un dernier bain avant que la maîtresse de maison ne referme le volet en PVC.

 

-      Regardez tous, dit Inès. Les premiers levés ouvrent la piscine de cette manière ; bouton vert pour l’ouverture, le rouge pour la fermeture et interdiction de montrer cela aux enfants, bien sûr !

 

La bonne humeur était revenue, la baignade semblait avoir rafraîchi les corps et les esprits.

Les couples se souhaitèrent de bien dormir malgré la fournaise qui s’était installée dans les chambres et taquinèrent Inès sur sa quarantaine rugissante !

 

-      Quarante ans demain dit Patrick en replaçant le tisonnier contre la cheminée du pool-house. Nous nous connaissons depuis si longtemps …

-      Il s’est passé tant de choses répondit Inès dans un soupir.

-      Allons, pas de mélancolie déclara Paul en enlaçant sa ravissante épouse, quel est le programme de demain, chère Inès ?

-      Pas de programme, mon cher Paul ! Chacun se lève quand il le souhaite et de toutes les façons avec une telle chaleur, ce sera piscine, encore piscine et toujours piscine ! Marc et Christine, Michel et Jeanne devraient arriver en fin d’après-midi.

 

Une fois seule, Inès s’étendit  sur un des transats, alluma une cigarette et lut les messages sans grand intérêt que son amant lui avait envoyés. La Rouquine sauta sur ses genoux et lui donna de grands coups de tête pour lui exprimer son affection.

 

-      Toi, au moins, tu n’es pas compliquée dit-elle en caressant le petit animal. A demain, la Miss, je vais me coucher.

 

Malgré les volets restés fermés toute la journée, la chambre d’Inès était une véritable étuve. Elle maudissait cette grande surface qui avait vendu tout son stock de ventilateurs et s’allongea nue sur son lit.

 

Elle pensa à Virginie, à Sophie, à leur agressivité l’une envers l’autre, à Patrick qui avait une maîtresse, à Paul qui par son « tu m’emmerdes » avait brisé à tout jamais le portrait idéal qu’il tenait à renvoyer de son couple. A moins que ce ne soit Sophie qui y tienne tant… Pourquoi cette dispute dans la cave, simple querelle d’amoureux ou était-ce plus grave ? Ilona était-elle mêlée à ce conflit, Paul en avait-il tout simplement assez de gérer l’intendance ?

 

La chaleur et ses préoccupations amicales l’empêchèrent de trouver le sommeil. Elle se tourna, se retourna sur le drap en lin, prit une douche, ouvrit un autre paquet de Marlboro et finit par se lever pour aller chercher une bouteille d’eau dans la cuisine.

 

-      Vous ici ? lança Inès à Paul qui se servait un verre d’eau. Prends plutôt une bouteille et montes en une également pour les enfants.

-      On peut parler ? demanda Paul, d’ordinaire sur la réserve.

-      Bien entendu, rien de grave j’espère.

-      Non, c’est Sophie, elle m’inquiète. Elle travaille beaucoup tu sais, elle est totalement surmenée, il ne faut pas lui en vouloir.

-      Mais, c’est toi Paul, qui semblait lui en vouloir, pas moi …

-      Excuse-moi, pas facile de vivre avec une femme parfaite !

-      Sophie est loin d’être parfaite, pas plus que toi, pas plus que moi …ouvre les yeux Paul, vous ne pouvez pas continuer à tout contrôler, c’est impossible !

-      Si tu savais comme j’aimerai étaler mes faiblesses dit-il dans un éclat de rire, ce doit être tellement bon !

-      Paul le Magnifique aurait des faiblesses, plaisanta Inès. On peut savoir lesquelles ?

-      Si tu me jures de ne pas le répéter, je t’en confie une…

-      Promis, je t’écoute.

-      Je voudrais… juste une fois … péter au lit !

 

Inès faillit s’étouffer avec une gorgée d’eau. Paul et elle étaient hilares, ils se tenaient les côtes, se tapaient sur les cuisses, offraient un spectacle délirant à Virginie qui était descendue de sa chambre,  attirée par leurs fous rires.

Ceux-ci redoublèrent lorsqu’ils aperçurent leur amie affublée d’un long tee-shirt « Hello Kitty  ».

 

-      Ce n’est plus du jeunisme, s’exclama Inès, c’est de la régression !

-      Ma pauvre Virginie, essaya de balbutier Paul entre deux hoquets, il ne te manque plus que des couettes !

 

Fort heureusement, leur bonne humeur gagna Virginie qui, loin de s’offusquer des moqueries de ses amis, les partagea et s’en amusa.

Le trio finit par s’installer sur la terrasse périgourdine et leurs rires fusaient au beau milieu de la nuit.

 

-      Bonne nuit, mesdames, dit Paul en saluant ses deux amies presque jusqu’à terre.

-      Que la nuit vous soit douce Monseigneur,  répondit Virginie avec un clin d’œil.

-      Tu as sommeil ? demanda Virginie à Inès.

-      J’aimerais dormir, mais cela semble difficile avec cette chaleur répondit elle en tirant sur une bouffée de cigarette.

-      Il t’a parlé de Sophie ?

-      Vaguement, il dit qu’elle est submergée de travail…

-      C’est surtout une obsédée du contrôle ; elle veut tout maîtriser, sa vie, son image …

-      Plus ou moins comme nous toutes, c’est le syndrome de notre époque, la nouvelle pathologie du siècle, comme l’hystérie était celle du XIXème et la dépression celle du XXème ! Les anglo-saxons appellent cela le  control freak, mais tu sais, ceux qui se maîtrisent font des boss épatants, j’en connais quelques uns au journal.

-      Comme nous toutes… moi aussi ? s’étonna Virginie.

-      Mais oui, chère chrysalide ! Toujours plus mince, toujours plus jeune, toujours plus lisse, un peu toi, non ?

-      Et Sophie alors ?

-      Une ambition farouche, une apparence inoxydable, une image trop parfaite constamment mise en avant, un courage revendiqué, bref, un profil trop romanesque pour être naturel ! C’est Sophie, non ? Reste à savoir si elle est la reine de l’efficacité ou de la névrose !

-      Deviendrais-tu psy à tes heures ? questionna Virginie en avalant un grand verre d’eau.

-      Penses-tu répondit Inès en s’étirant, les control freaks sont partout, heureusement pour la presse-people et mon bulletin de salaire ; songe à Madonna, Bill Gates, Victoria Beckham, Angelina Jolie, Karl Lagerfeld et bien d’autres.

-      C’est vrai et toi, dans quelle catégorie te places-tu ?

-      Difficile de parler de soi, répondit Inès, je n’en sais rien, je ne pense pas être control freak

-      Il n’y a pas de raison que tu y échappes, c’est dans l’air du temps, ma belle !

-      Alors quoi ? demanda Inès.

-      Voyons …, je dirai même que c’est du control freak de haut vol, mais tu sembles te situer dans la stratégie plus que dans la pathologie … never explain, never complain … !

-      On aurait dû faire psycho, ma grande… on a raté notre vocation… si on allait se coucher ?

-      Une insubmersible, une ambitieuse et une chrysalide, quelle équipe ! dit Virginie en se levant. Bonne nuit Inès, la journée de demain sera une grande journée !

-      On est déjà demain depuis plusieurs heures remarqua la maîtresse de maison !

-      Mais, tu as raison … bon anniversaire, ma belle !

 

 

 

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